A nous Fantispa !

Tod déposa sa petite valise au sol et sortit un petit mouchoir blanc de sa poche. Il s’épongea le front. Il jeta un rapide coup d’œil autour de lui. La vie était toujours aussi calme à Fantispa, mais il ne désespérait pas de débloquer sa situation personnelle. Il faut dire que ses aller-retours entre Tindali et Fantispa compliquait son installation. Mais Rébecca avait insisté pour quitter le foyer des nouveaux arrivants et retourner résider à Prya en attendant que la situation se débloque à Tétaou. Tod devait donc procéder à plusieurs démarches administratives : ouverture d’un compte bancaire à Fantispa, achat ou location d’un logement. Et il devrait inévitablement trouver un emploi pour assurer son avenir ici. En effet, si la famille Ruffin possédait un confortable logement à Tindali durement acquis, il devrait faire la même chose ici. Et la question la plus épineuse était comment. C’était la seule incertitude dans son projet de vie.

Alors, Tod saisit sa petite valise, replaça convenablement sa veste et héla un taxi. Il s’engouffra dans le véhicule.

Les clefs des locaux tout neuf du RPR venaient d’être confiées à Tod. L’espace y était petit, mais largement suffisant étant donné l’importance du parti. Le travail qui l’attendait était considérable ; entre l’organisation au moins superficielle du RPR, le recrutement d’un minimum de personnel pour l’assister, l’analyse de la situation nationale, l’établissement du programme politique… Il n’aurait certainement pas le temps de rentrer à Tindali avant la date prévue initialement. Becky et Auguste devraient certainement venir à Fantispa. Mais pour cela, il lui fallait trouver un logement, ouvrir un compte bancaire et gagner un peu d’argent.

Il s’enfonça dans le fauteuil de son bureau et soupira. Il croisa les mains derrière sa tête et laissa son esprit vagabonder quelques instants. Il eut une subite envie de s’amuser, de profiter de la vie. Il resta encore quelques instants la tête dans les nuages. Puis, il mit fin à sa rêverie. Il reprit les journaux locaux faisant état de l’affaire du porte avion fantispais parti au large pour des manœuvres. Devait-il communiquer sur ce sujet ? Il tenta d’imaginer les propos qu’il pourrait utiliser. Mais songea aussi au contexte qui planait à Fantispa. Il en vint à la conclusion que le RPR n’était pas encore en situation d’être audible. Par ailleurs, l’accès limité des locaux du parti rendait toute communication invisible au grand public. Cela était un problème. Il lui semblait nécessaire de rendre une petite partie des locaux accessibles à tous afin que la parti puisse communiquer convenablement. Cela serait sans nul doute un sujet à aborder avec le Prince.

La journée de travail avait été très intense et surtout assez productive. La première étape que Tod avait décidé de franchir fut de s’entourer de gens de confiance. Il se souvenait que durant ses études, une jeune femme l’avait particulièrement impressionné par sa clairvoyance. Il avait dû appeler de vieux amis pour retrouver sa trace. Cela n’avait pas été simple, mais il avait réussi à la joindre. Il discuta quelques instants avec elle et n’hésita pas à lui proposer de le rejoindre à Fantispa auprès de lui. Elle se morfondait dans un poste – certes bien payé – mais ennuyeux au sein d’une grande entreprise à Kaora. Il ne fut donc pas surpris de l’entendre accepter sa proposition. Célibataire endurcie, sans enfant, intelligente, cette jeune femme pourrait le rejoindre très vite. Eva Zhyon deviendrait sa directrice de cabinet.

Cependant, Tod s’était déjà mis en relation avec un homme – un fantispais, célibataire lui aussi – qu’il avait rencontré à l’Université de Fantispa. Ils étaient restés en contact plus ou moins régulier. Tod l’avait invité ce midi à déjeuner. Très vite, le sujet de la récente entrée en politique de Tod s’immisça dans la conversation. Et Tod fut agréablement surpris de voir Léonard Goranz lui proposer ses services. Tod fit une moue laissant penser qu’il réfléchissait à l’éventualité. En vérité, Tod l’avait invité pour proposer justement à Léonard de travailler en qualité de conseiller politique.

Tod s’enfonça dans sa chaise, retint sa respiration. Léonard baragouina deux-trois arguments sensés convaincre Tod. Ce dernier prit un malin plaisir à laisser croire qu’il hésitait. Ce comportement lui donnait le dessus dans leur futur collaboration ; c’est bien Léonard qui est demandeur…

Le responsable du RPR mit enfin un terme en acceptant la proposition d’une voix calme et douce : « D’accord Léonard ! Tentons le coup ! » Léonard accrocha un grand sourire entre ses deux oreilles permettant à toutes ses dents de voir la lumière du jour.

Dans l’après-midi, Tod recevait une réponse intéressante à une offre d’emploi postée dans un journal fantispais. Il venait visiblement de trouver la porte-parole de son mouvement : une certaine Nina Vox. Il la contacterai très vite pour la recevoir et s’assurer qu’elle faisait bien l’affaire. Restait encore à trouver un secrétaire personnel. Et étant donné ses exigences, la tâche semblait aussi compliqué que de faire courir un marathon à un cul-de-jatte.

Enfin, il travailla avec Léonard à l’élaboration de la Charte de fonctionnement du RPR. Elle était un peu « simpliste », mais permettait un fonctionnement correct du parti.

- On devrait la rendre publique… s’inquiéta Goranz
- J’y songe, répondit Tod. Pour l’instant, je ne rêve que d’une chose, c’est d’une bonne douche.
- Vous êtes fatigué ?
- Effectivement, soupira Tod.
- Et cela n’est rien par rapport au travail qui nous attend pour construire le programme politique.
- Je sais Léonard. Je sais.
- D’autant que les rumeurs de législatives sont pressantes.
- Je sais très bien de quoi il retourne sur ce dossier, croyez-moi, s’impatienta Tod.
- A propos, vous avez vu les sondages ? Nous sommes crédités de 13%.
- Oui, j’ai vu ça. C’est inespéré. On vient juste de relancer le parti et le peuple semble déjà…
- Tatata… je vous arrête Tod. C’est l’effet de nouveauté, de curiosité. Le soufflet peut vite retomber. C’est courant dans ce genre de situation.
- En attendant, ce qui me rassure, c’est que le Parti Monarchiste est derrière nous avec 9%. C’est un bon signe tout de même ?

Goranz fit une moue réprobatrice. Il écarta les bras l’air de dire « peut-être, peut-être pas ».

- Ecoutez Léonard, je rentre à mon hôtel. On se revoit demain.
- Très bien.
- Vous restez là ?
- Je dois encore écrire quelques notes de travail.
- Léonard ? Vous avez une vie privée ? Il y a-t-il quelqu’un qui pense à vous ce soir ?
- Bien sûr, bafouilla Léonard. Evidemment.

Tod acquiesça et jeta sa veste sur son épaule. Il salua son conseiller d’un signe de la tête.

- Oui… Oui… Mais vous… Bien sûr, mais… Entendu !

Tod raccrocha le combiné de son téléphone. Rébecca venait encore une fois de lever le ton. Elle se retrouvait seule avec Auguste à Tindali. Pendant ce temps, Tod n’avait toujours pas réglé le problème du logement qu’ils devraient occupés à Fantispa. Becky, pensa Tod, ne réalise pas la situation compliquée du pays. Toutes les forces vives de la nation s’activaient pour remettre en route les rouages des institutions. Il s’effondra dans son imposant fauteuil et dénoua sa cravate. Il ne supportait pas bien cet élément de torture qui étranglait bien des politiciens à travers le micromonde. Il plongea sa tête dans ses mains et se frotta le visage. C’est à ce moment précis que Léonard Goranz, son tout nouveau conseiller politique fit irruption dans son bureau.

- Ca va patron ?
- Ne m’appelez pas patron.
- Monsieur Ruffin ? interrogea Goranz.
- On se contentera de Tod.
- Très bien Tod. Tout va bien ?
- Ma compagne possède un caractère… bien trempée.
- Ah ? C’est parce que vous ne lui porté plus l’attention que vous lui portiez avant.
- De quoi je me mêle Goranz ?
- Oh, moi j’dis ça…
- Que voulez-vous ?
- Une certaine… Nina Vox prétend avoir rendez-vous, dit Goranz en consultant un papier qu’il tenait dans sa petite main.
- Ah oui, c’est exact. Faîtes-là entrer.

Goranz disparut derrière la porte, alors que Tod ajouta une instruction :

- Et trouvez-moi un paquet de chips aux algues !

Quelques instants de solitude lui laissèrent le temps de renouer sa cravate comme un dépressif nouerait une corde à son cou. Nina Vox toqua à la porte et entra sur la proposition de Tod. Elle était maigrichonne, brune aux cheveux légèrement bouclés. Ses fines lunettes mettaient en valeur un visage aux traits fins. Relativement petite, elle paraissait plutôt fragile. Pourtant quelque chose dans ses yeux imposait une assurance, une détermination au-dessus de la moyenne.

- Nina Vox, je suis ravie de vous rencontrer.
- Je le suis également, dit Tod en se rasseyant. Alors, vous prétendez pouvoir devenir ma porte-parole ?

Le ton direct et sans ambages laissa qu’un bref instant la jeune femme sans réaction.

- Etant donné que je possède les qualités requises, je ne pense pas être déficiente à ce poste.
- Vous n’avez pourtant aucune expérience à ce niveau ?
- Pas plus que vous n’en avez en politique. Et pourtant, vous dirigez un parti…

Elle afficha un sourire sympathique, mais nuancé de provocation. Tod avait lancé les hostilités, elle répliquait par le même biais.

- Comment voyez-vous cette fonction ?
- Nous sommes dans une société consensuelle, qui recherche le débat, mais évite soigneusement les guéguerres politico-politiciennes. Le contexte est donc relativement aisé pour un porte parole.
- Vous paraissez bien frêle pour vous frotter à ce monde impitoyable ?
- Pourquoi ? Parce que je suis une femme ? Parce que je n’ai pas des pectoraux qui en impose ?

Tod lâcha un petit sourire et la fixa.
- Vous êtes embauchée ! Bienvenue !

La tension qui la tiraillait tomba. Elle ajouta un simple « Vraiment ? » pour s’assurer qu’elle avait bien compris. Il se leva et lui serra la main en guise de réponse. Il restait maintenant à plancher sur le programme politique.

Les manches de sa chemise bleu ciel remontées jusqu’aux coudes, sans veste, ni cravate, Tod regardait à tour de rôle les personnes qui l’entouraient. A sa gauche, sa toute nouvelle directrice de cabinet, Eva Zhyon, fraîchement arrivée de Kaora grimaçait. Elle se pinça les lèvres et conservait son regard braqué sur le texte.

- Alors ? s’enquit Tod. Tu en penses quoi Eva ?
Elle se tortilla sur sa chaise puis finit par dire :
- Pour un début, ce n’est pas si mal. Mais…
- Mais quoi ?
- Il y a deux-trois points qui mériteraient d’être sérieusement travaillés.
Léonard Goranz qui était situé à la droite de Tod prit la parole.
- Nos adversaires vont les exploiter, c’est sûr !
- Ils n’ont encore rien présenté eux !? rétorqua Nina Vox, la porte-parole du parti.
- Mais ils vont le faire. Et c’est après qu’ils nous tomberont dessus, renchérit Léonard.
Nina n’abandonna pas :
- C’est la loi de la politique, non ? On sait très bien qu’ils vont scruter ce qu’on va dire, écrire et faire. Notre parti repart tout juste. Nous avons le droit de nous tromper.
- C’est vrai qu’on peut toujours admettre des approximations. D’ailleurs, les électeurs aiment beaucoup que les hommes politique reconnaissent leurs erreurs, dit Eva.
- Bon. Très bien. Alors, on en reste là. Eva, vous allez rencontrer les militants, on doit leur exposer le programme. Nina, vous allez offrir aux journalistes une petite conférence de presse pour exposer le programme du parti. Léonard, vous allez me trouver les paquets de chips aux algues que je vous ai demandés hier ! Au travail !
- Je… intervint Goranz.
- Ta ! Règle numéro une : on ne discute pas les ordres, exposa Ruffin.

- Nina ?! Il fallait s’attendre à ce genre de questions. Nous avions souligné que certains points étaient un peu… faiblards dans notre programme.
- Oui, je sais. Mais… mais… ma réaction a été la bonne, non ?
- Oui… Mais… On a bien vu que vous étiez tendue.
- C’est vrai Tod… C’est nouveau pour moi tout ça, vous comprenez…, supplia Nina d’une petite voix.
- Je sais, soupira Tod.

Léonard fit son entrée dans la salle de réunion.

- Ah ? Vous êtes enfin là Tod ? Où étiez-vous ce week-end ?
- A la pêche !
- A la…, bredouilla Léonard, à la pêche ??
- Oui. Rien de tel pour faire retomber la pression que de se frotter aux… émois de ce moment de plaisir. C’est James qui m’a appris ça.
- James ?
- Ah oui, vous ne le connaissez pas. Laissez tomber.
- euheuh, je vois… Je ne suis pas là pour ça. Le Prince vient d’annoncer la tenue des législatives. Il faut lancer le programme de la campagne.
- Très bien. Faîtes-moi une note de travail à ce sujet, répondit vivement Tod. Puis, il s’adressa à Nina. On reparlera de tout ça plus tard.
- D’accord, murmura Nina comme un enfant intimidé.
- Ah oui ! Il y a un type qui désire vous voir, intervint à nouveau Goranz.
- Qui est-ce ?
- Heu, c’est là que ça devient cocasse… un ivrogne.
- Vous plaisantez ?
- Non.
- Que veut-il ?
- A vrai dire, je n’ai pas bien compris de quoi il retournait. On m’a juste communiquer cette information, se défaussa Goranz.
- Hmm… Bon, faîtes-lui savoir que je suis en réunion et que je ne peux pas le recevoir. Bref, le blabla habituel…

Goranz eut une moue complice, alors que Nina était plutôt surprise par cette réaction qui ne transpirait pas d’humanité. Ils sortirent tous les deux pendant que Tod saisit le combiné de l’appareil téléphonique. Il pianota sur le clavier avec rapidité et écouta les tonalités retentir dans l’appareil.

- Allô ?… Becky ? C’est moi. Tout va bien ?… Oui… Oui… Je sais… Moi aussi… Entendu…

Le Président du RPR, en raison du décret princier, avait provoqué une réunion d’urgence. Etaient convoqués à ce rassemblement, la porte parole du mouvement, Nina Vox, la directrice de cabinet, Eva Zhyon, le conseiller politique, Léonard Goranz et le directeur de campagne, Jean Baubinne. Tod avait décidé de ne pas convié Fritz Muls, coordinateur à l’action militante. Les cinq personnes étaient assises au tour de la table de réunion et c’est Eva Zhyon qui prit la parole pour expliquer la raison de cette réunion. Pendant ce temps, Tod déposa un paquet de chips aux algues sur la table et tenta de l’ouvrir – ce qui ne manquait pas de faire un bruit de papier froissé très agaçant.

- Nous avons cinq jours pour composer notre liste de deux candidats. La campagne débute dans deux jours et s’étend sur deux semaines. Du 19 au 21 mars, ça sera la sentence. On sera si nous avons fait ce qu’il fallait.

Eva n’osa pas s’interrompre et interpeller Tod au sujet de l’agacement que lui provoquait les bruits engendrés par ses tentatives d’ouverture du paquet de chips. Tout le monde le regardait, mais cela ne l’empêchait pas de continuer à s’acharner sur le maudit paquet. Soudain, Goranz intervint.

- Ca fait grossir ces cochonneries.
- Vous rigolez ? Elles sont aux algues…, s’indigna Tod.
- Et alors ? Ils rajoutent des tas de produits et de glucose dans ces machins, reprit Goranz.
- N’importe quoi. Et puis, de quoi je me mêle ? Il n’en faudr…
- Messieurs, coupa net Eva Zhyon. Je ne voudrais pas vous interrompre dans ce débat fort intéressant. Mais chacun d’entre nous a beaucoup de noix de coco sur la planche…

Les deux hommes se défièrent du regard. Tod jouait de sa position. Goranz ne se laissa pas impressionner. Finalement, le paquet de Tod céda brutalement et les chips inonda une partie de la table.

- Hé bien voilà ! claironna Tod, tout en dévisageant Léonard Goranz. Puis, il enchaîna en prenant un air très sérieux. Notre plus gros problème est que nous n’avons pas prévu de second candidat. Il va donc falloir trouver quelqu’un. Et j’ai besoin d’une personne compétente de confiance.
- Personne n’est ressorti franchement de la base. Il va falloir parier sur quelqu’un d’extérieur ou l’un d’entre nous…, enchaîna Eva.
- Eva assure la cohérence du parti et Nina en est la voix, dit Tod.
- Pourquoi pas Jean ? proposa timidement Nina.
- Moi ? dit l’intéressé, surprit qu’on pense à lui pour cette mission. Je… je ne serai pas faire… Je suis un homme de l’ombre.
- Il faut un communiquant, confirma Eva. Et pardonne-moi Jean, tu es un peu… effacé. Il nous faut une personne avec du charisme.

Alors que Jean Baubinne fit une moue boudeuse, Léonard se trémoussa sur son siège et ne put s’empêcher de dire :

- Du charisme ? Ce sont donc deux personnes que nous recherchons alors…

Tod failli s’étouffer avec une chips et devint tout rouge. Il reprit son calme et s’apprêtait à répondre. Mais Nina l’interrompit.

- Et pourquoi pas vous Léonard ? Vous êtes une pipelette et connaissez le monde politique fantispais ?
- C’est une bonne idée, j’y suis pour, lança Eva.

Jean adhéra lui aussi à la proposition et comme Léonard ne semblait pas vouloir refuser l’offre, Tod se sentait pris au piège. Il aurait voulu sortir un nom de son paquet de chips et crier « Joker ! », mais il n’avait personne à soumettre en remplacement de Goranz. Alors, il finit par dire.

- Bon. Et bien, à défaut, Léonard sera notre second candidat.

Une certaine rivalité s’était forgée au fil des jours entre les deux hommes et Tod était convaincu que ce n’était pas cette décision qui allait arranger les choses…

- Maintenant, parlons du programme de la campagne… proposa Tod.

Tod mordillait le bout de son stylo et cherchait une meilleure formulation à une phrase du discours qu’il préparait pour son premier meeting. Eva entra à nouveau dans son bureau et, tout en lui montrant un papier, lui dit :

- C’est bon ! Nous avons nos 18 autres députés.
- Le plus important, c’était le second, il est mon bras droit dans cette campagne et le représentant du parti s’il devait m’arriver quelque chose.
- Heureusement qu’on avait Léonard sous la main.
- Mmh, approuva faiblement Tod.
- J’ai l’impression que vous auriez aimé quelqu’un d’autre à cette place ?
- Il connaît bien la vie fantispaise…
- Si vous ne le vouliez pas, pourquoi ne pas avoir proposé votre femme ? Après tout, elle est dans la liste.
- Becky ?? Non, non. Elle n’y connaît pas grand chose. Et surtout, elle n’est pas très… passionnée par la politique.
- Vous savez Tod, elle a des chances de siéger au Parlement…
- Ce n’est pas ce que dit le dernier sondage.
- Pour le moment, non… Mais à l’issue de notre campagne…, dit Eva en croisant les bras.
- Justement, je vois que Jean a terminé notre planning de campagne dit Tod en consultant le document apporté par sa directrice de campagne. Il lit à voix haute.

5 mars 2015 : Meeting au nord de Tétaou dans une salle des fêtes.
8 mars 2015 : Rencontre avec les pêcheurs sur le port de Tétaou. Promenade en mer.
10 mars 2015 : Meeting au Sud de Tétaou dans le stade du quartier.
14 mars 2015 : Rencontre avec des chefs d’entreprise.
18 mars 2015 : Meeting sur la place centrale de Tétaou.

Le chef du parti s’enfonça dans son fauteuil et passa sa langue sur ses lèvres.

- Ca ne vous convient pas ?
- Il n’y a pas assez de déplacements, de rencontres. Il faut que je sois proche des fantispais, qu’ils apprennent à me connaître.
- Jean pense que les trois meetings rempliront largement ce rôle. Les fantispais n’ont actuellement pas besoin qu’on vienne les bercer d’illusions, ils veulent un projet d’avenir.
- Mouais… On verra ça. Communiquez à la presse ce planning.
- Sans les thèmes abordés ?
- Non, non. Surtout pas. Ils faut créer la curiosité.
- D’accord, dit Eva en se dirigeant vers la porte. Soudain, elle s’arrêta et se retourna vers Tod. Ah oui, j’oubliais… la femme de ménage s’est plaint de l’état de la salle de réunion dans lequel elle l’a retrouvée.
- Si les bureaux étaient rendus propres, on n’aurait pas besoin de femmes de ménage.
- Tod !
- D’accord, d’accord ! Je ferais attention la prochaine fois. Mais s’ils faisaient des ouvertures faciles aussi sur les paquets de chips…

- Je persiste à dire que c’est une connerie sans nom ! s’emporta de plus belle Tod. Lui faisait face, Eva Zhyon remontée comme une pendule et Jean Baubinne.

- Tod, vous réalisez que nous proposons un nouveau système politique ? Et cela est proposé par un ex-pryan, paradis de la République et, à la fois, enfer de l’aristocratie. Les fantispais ont besoin d’être rassurés. Vous devez aller rencontrer les alhamistes.
- Je vous rappèle Eva que Prya est un ancien Royaume, Rooooy – yaaaumme, continuait à vociférer Tod.
- Exactement ! Ancien ! Il ne l’est plus et n’est plus représentatif de l’aristocratie.
- Mais pourquoi croyez-vous que les alhamistes soient si près de la noblesse ? demanda Tod.

Eva ouvrit les bras et les laissa retomber comme pour marquer une évidence.
- Parce qu’ils ont un rôle à jouer dans un tel régime. Alors qu’en République, même croisée au concept de Principauté, les alhamistes n’ont rien à y gagner. Croyez-moi Tod.

Le dirigeant du RPR s’assied et regarda ses mains entrecroisées sur ses genoux. Jean Baubinne qui n’avait rien dit jusqu’ici osa prononcer quelques mots.
- Surprendre la presse et les électeur est un atout fort dans une campagne. Personne ne vous attend sur ce terrain. Tout le monde sait que vous n’avez pas d’amitié pour les religions. Et ce n’est bien pas plus mal ainsi ; vous montrez votre ouverture d’esprit.

Tod secoua la tête et finit par la soulever.
- Vous êtes vraiment des emmerdeurs de première catégorie… D’accord, on y va.
Eva lâcha un « Yes ! » enthousiaste et victorieux, alors que Jean souriait. Le déplacement à l’Eglise alhamiste de Tétaou était organisé à la va-vite. Tod serait accompagné d’Eva et de Jean naturellement, mais aussi de deux colistiers : Tony Truhant et Corentin Tévhert. Ils arrivèrent en cet après-midi du 4 mars, premier jour de campagne électorale.

Tod avait choisi un costume gris foncé, une chemise bleu ciel et une cravate noir. Il arborait un sourire pratiquement constant ce qui rendait ses zygomatiques un peu douloureux à la longue. Il serra des mains de personnes qui sortaient de l’église et dont la plupart semblaient se dire « J’connais ce type, mais j’n’arrive pas à le remettre… » Les trois quarts devait finir par se répondre « Mais oui ! Je sais, c’est l’acteur de la série débile qui passe en boucle… »
Tony et Corentin n’hésitaient pas à parler avec les croyants et distribuaient des tracts. Quelques journalistes immortalisaient l’événement par quelques clichés photographiques qui seraient peut être publiés avec de la chance dans « Paf, le chat ! ».

L’agitation devant l’église provoqué par la présence de ses candidats au Parlement attira l’attention du Prêtre alhamiste qui vint à la rencontre de Tod.
- Monsieur Ruffin, dit-il.
Tod se dit qu’au moins quelqu’un l’avait reconnu formellement. Toutefois, il était plutôt inquiet du ton peu chaleureux du prêtre.
- Monseigneur, Allô… Heu… Olloh est avec vous comme il sera avec nous durant ces élections.
- Ne blasphémez pas Monsieur Ruffin et encore moins devant la demeure d’Olloh.
- Ah ?! Ce n’était pas mon intention mon cinq heures… Heu Monseigneur. Vous savez je tiens beaucoup à la présence alhami…
- Arrêtez vos boniments ! J’ai bien noté que vous voulez la fin de nos privilèges et donc la disparition de notre Sainte-Eglise.
- Détrompez-vous, je…
- Excusez-moi, je dois retourner à l’office. Cessez d’importuner les paroissiens !

Tod ne répondit rien. Un mur d’incompréhension les séparait. Il n’avait ni la force, ni le courage de l’abattre. Il regarda le petit homme s’éloigner et rentrer à nouveau dans son Eglise. C’était donc ça le goût de l’insatisfaction politique. Tod ne digérait pas trop l’expérience et continuait à penser que c’était une erreur de venir rencontrer les fidèles. Seuls les futurs sondages pourraient le contredire. Après une demi-heure passée devant le monument religieux, l’équipe du RPR se décida à quitter les lieux et rentra au siège du parti.

- Tod, Tod… Regardez ça !
Nina Vox tendit une petite feuille que Tod scruta de long en large. Il était tendu, cela se lisait sur les traits de son visage.
- Alors, cette fois-ci, la campagne est lancée.
- Mais rien ne vous interpelle, intervint Léonard Goranz qui avait accompagné Nina jusqu’à lui.
- Eh bien si, je n’aurai pas choisi ces couleurs… Trop discrètes.
- Mais non ! Le contenu ! Ce tract met en avant l’économie, dit Léonard.
- Et ?
- Et notre meeting d’aujourd’hui est très tourné sur ce thème.
- Quoi ? Vous pensez qu’il y a une taupe parmi nous ? questionna Tod
- On peut l’imaginer. Vous ne trouvez pas la coïncidence troublante ?
- Vous vous foutez de moi ?! L’économie est l’une des premières préoccupations des fantispais. Pas étonnant que le PCF en fasse l’un de ses axes d’attaque.
- Et ça tombe pile poil le jour de notre meeting… comme par hasard.
- Léonard, vous regardez trop de série à la « mords moi le nœud ». Revenez un peu sur terre je vous en prie.
- Vous n’allez donc rien changer à votre discours ?
- Non, strictement rien. De toute manière, je ne rentre pas dans les détails. On doit être court et tapez dans le mil.

Goranz et Nina regardèrent leur chef enfiler sa veste sombre et replacer sa cravate. Tod grimaça et se dirigea près d’Eva Zhyon. Elle tourna son regard vers lui et lui dit.
- Vous êtes prêt ?
Il approuva d’un signe de tête. Il ne voulait pas que sa voix ne trahisse sa peur. Il aurait aimé voir le visage bienveillant de Becky. Mais elle et Auguste préparaient leur arrivée à Fantispa. Quoiqu’il en était, il réalisait qu’il allait faire ses tout premiers pas en politique. La dureté de la tache et la pression qui en résultait étaient probablement bien plus pesante que les tracas qu’il affrontait en qualité de journaliste. Il déglutit et écouta la chanson crachée par les enceintes installées dans la salle. Le public plus compact que Tod l’aurait cru semblait relativement calme. Heureusement des militants étaient parsemés dans la salle pour « chauffer la foule ». Puis, Tod s’avança sur l’estrade, sous les petits projecteurs et s’installa derrière un simple pupitre. Le logo du parti trônait fièrement sur l’avant de celui-ci. En arrière plan, le mur était bleu avec une simple phrase écrite en caractères blancs : « Un avenir différent ». Tod salua sobrement la foule et débuta son discours.

- Mes chers amis. C’est un moment particulier pour moi aujourd’hui. Je prends publiquement la parole pour la première fois en tant que responsable politique. Alors, on me reprochera mon inexpérience, mon manque de savoir-faire. Pourtant, c’est justement parce que je suis conscient de certaines faiblesse que je pense avoir su m’entourer de personnes qui apporteront chacune une pierre à l'édifice que je viens vous présenter aujourd'hui.

Tod lançait quelques coups d’œil rapides et réguliers sur son texte, posé sur le pupitre afin de ne pas perdre le fil du contenu qu’il voulait délivrer ici dans cette salle des fêtes de Tétaou.

Mais alors qu’est-ce que je vous propose ? Que vous propose le RPR ? On ne vous mentira pas, on ne vous abusera pas ; nous n’avons peut être pas toutes les bonnes réponses. Mais nous sommes animés d’une vision différente de notre nation, une vision qui n’a jamais eu bonne presse : La voie républicaine. Comprenez bien, il ne s’agit pas d’une révolution – ni meurtrière, ni merksiste. Il s’agit de marier des idées opposées de la République et de la Principauté. Totalement stupide, absurde, incongru nous diront certains. Mais, le Micromonde n’est il pas la réunion de l’incongruité, de la non conventionalité ? Nous proposons de redonner une place plus importante à la voix du peuple en abattant certains privilèges issues de la féodalité tout en laissant une place au Prince et à la noblesse une place dans cette nouvelle forme de gouvernance. Il est évident que l’équilibre à trouver est difficile. Peut être devrons-nous tâtonner avant de trouver la meilleure solution. Néanmoins, nous restons convaincu que cette solution existe. Nous souhaitons travailler en bonne intelligence avec le Prince pour y arriver.
La seconde étape – et non des moindres – sera de redonner un élan économique à la nation. Un débat inévitable devra s’ouvrir sur la forme que nous souhaitons donner à la base de notre économie. EcoMicro est un outil formidable qui mériterait d’être davantage développé. A défaut, nous pouvons l’agrémenter de mesures externe à son fonctionnement qui permettraient de stimuler grandement notre économie. Dans cette optique, la création d’une agence nationale de la statistique est indispensable. Toutes les données qui en ressortiront permettront aux gouvernements de répondre aux besoins de la population, mais permettront également d’évaluer de l’action des dits gouvernements. L’accompagnement des nouveaux arrivants dans leur démarche d’installation et un programme d’évolution, de parcours de ces citoyens devront permettre de stimuler la démographie fantispaise qui en a plus que jamais besoin.

Tod sonda le public pour y découvrir une approbation. Il ne voyait que des regards le scrutant et ne sut en tirer la moindre conclusion – ni bonne, ni mauvaise. Alors, il reprit de plus belle son monologue.

- Ces deux grands chantiers devront s’accompagner par une refonte totale du panel des lois. Certaines ne sont plus adaptées, d’autres en décalage avec la société que nous souhaitons. Il nous sera nécessaire d’entretenir un lien très fort avec un faible nombre de nations afin de privilégier des relations sincères et productives. Le Micromonde ne doit pas nous être fermé, mais s’y ouvrir les yeux fermés n’est pas non plus une bonne solution. Mieux vaut avoir trois véritables amis que quinze connaissances dont les trois quarts ignorent votre prénom…

Tod reprit sa respiration et humecta ses lèvres en buvant un peu d’eau. Il arrivait à la fin de son discours qu’il voulait le moins « pompeux » et donc le plus court possible.

- Je vous ai présenté aujourd’hui qu’une partie du projet du Rassemblement Pour une République. Qu’une partie, mais pas des moindres. Il ne faut pas croire que tout viendra très vite. Cela prendra sans doute un peu de temps à se mettre en place étant donné les changements socio-économiques que nous souhaitons.

Tod parlait désormais sans ses notes et élevait la voix en appuyant sur certains mots pour mieux qu’ils résonnent dans l’esprit de chacun.

- Toutefois, si les 19, 20 et 21 mars, vous nous consentez votre confiance, si vous faîtes le choix du modernisme, si vous votez pour le futur, nous promettons – mes 19 collègues et moi – à nous engager dans la voie que je viens de tracer ce soir devant vous. Faîtes le choix de l’audace, d’un renouveau différent. VIVE LE RPR ! VIVE FANTISPA !

- Non, non, c’est vous ! dit Jean Baubinne à Eva Zhyon.
- Ah, non, non, c’est à vous de le faire.
- Non, mais vous, vous savez lui parler. Il… vous écoutera.
- Ce n’est pas le problème « écouter », c’est ça réaction…
- Oui, mais vous, vous êtes une femme…
- Et alors Jean ?
- Eh ben, il osera pas vous… vous savez quoi…
- Ah, non, je ne vois pas, non.
- Il sera plus gentil, plus compréhensif.
- Vous savez bien que ce n’est pas vrai Jean. Vous avez bien vu comment il a envoyé chier Nina hier quand il lui a proposé l’idée de l’avion. Non, non, c’est à vous de lui dire Jean. Allez, prouvez-nous que vous en avez dans la culotte… enfin dans le slibard.

Eva poussa Jean devant la porte du bureau de Tod et toqua, puis elle souffla à Jean un « bonne chance ! » qui rendit le visage de Jean aussi pâle qu’un linge de maison.

- Entrez ! lança le ton sec de Tod qui était de mauvaise humeur. Jean entra timidement et bafouilla un « bonjour ».
- Je ne retrouve plus le discours du prochain meeting, s’énerva Tod. Je croyais l’avoir posé par ici, et ce matin… hop ! Envolé ! Si je rangeais ce bureau aussi… C’est pourquoi Jean ?
- Je… je… je voulais…
- Bon, ben venez-en aux faits, j’ai plusieurs choses à boucler avant ce soir.
- Voilà. Comme vous le savez, votre ancien secrétaire Paul Hisson vient d’acquérir la nationalité, raconta Jean.

Tod se redressa et se raidit. Il serra les dents et fixa Jean dans les yeux.
- Et ? murmura-t-il entre ses dents.
- Et… et Wladyslaw Korzeski est rentré en contact avec lui.

Tod se décomposa immédiatement. La raideur de ses muscles ne disparut pas entièrement, mais son corps réussit à se plier pour s’asseoir dans son fauteuil. Jean Baubinne marqua un court silence, puis reprit son explication.

- Il semblerait que Korzeski ait convaincu Hisson de s’embarquer dans la campagne électorale. Il a été inscrit en troisième position sur la liste du Parti Monarchiste.
- Nom d’un… Jean, dîtes-moi que vous plaisantez !
- Je crains Tod que cela ne…
- Oh bon sang, je vais le… je vais le…, Tod se calma et dit. Vous savez ce que cela signifie Jean ? Il va tout faire pour me descréditer. Korzeski a bien compris que le meilleur moyen de m’attaquer frontalement, c’était de saisir ce pantin et de l’agiter. Inutile de s’arrêter sur le débat d’idées ainsi…
- Le plus inquiétant, c’est que, d’après le dernier sondage de FantInfo, il est en position de devenir député.
- Avez-vous prévenu Eva et le reste de l’équipe ?
- Oh oui, elle le sait, c’est même elle qui me l’a annoncée, se déchargea Jean.
- Bien. Nous avons donc trois listes désormais. Et le MPD ?
- Amorphe. Et le PCF n’a pas encore finalisé sa liste.
- Je vois. Laissez-moi Jean… Ah ? Apportez-moi un… non, deux paquets de chips aux algues.

- Je suis tellement impatiente, ça fait si longtemps que je ne suis pas monté à bord d’un bateau, s’exclama Nina durant la réunion de travail hebdomadaire.
- Heu… Nina, tu…, commença à dire Jean.
- J’espère qu’il fera beau, continuait Nina.
- Nina ? Tu… tu n’es pas prévu dans le déplacement.
- Hein ?… Oh là là ! Quel farceur ce Jean. J’y ai presque cru.
- Hum… Ce n’est pas une plaisanterie, rectifia Jean.

Nina perdit son sourire et plissa les yeux.
- Mais… Mais pourquoi ? Je faisais une telle joie de…
- Tu viendras une prochaine fois Nina, tenta Eva.
- Mais la prochaine fois, on se farcit des entrepreneurs bedonnants dont le seul sujet de conversation est le taux de progression de la Bourse.
- Nina, voyons !, dit Eva.
- On change la date du déplacement, intervint subitement Tod.
- Quoi ? interrogea Eva, dubitative. Ca ne changera rien, Nina ne pourra pas venir tout de même.
- Je m’en fous de Nina, s’emporta Tod tout en réalisant ce qu’il venait de dire. Heu… pardon Nina. Je veux dire qu’il faut changer la date de ce déplacement. Mon meeting du mardi 10 doit être lui aussi déplacer, à dimanche, à la place de ce déplacement.

Le directeur de campagne, Jean Baubinne devint transparent. Il suait à grosses gouttes. Il voulut prendre la parole, mais les mots ne sortaient pas. Eva, elle, voyait son débit vocal s’accélérer.
- Tod, vous n’y pensez pas ! Vous imaginez les problèmes d’organisation que cela pose ? C’est impossible. Et puis, les pêcheurs prendraient mal qu’on modifie au gré de vos envies cette visite.
- Je m’en secoue la coquillette ! Notre second meeting doit avoir lieu dimanche. On est en train de perdre la main. On doit passer à l’offensive et commencer à taper, et à taper fort !
- C’est-à-dire ? interrogea Eva.
- Je n’ai pas réussi à retrouver la première mouture du discours, alors, je l’ai réécrit… Et il n’a plus la même teneur. Tenez, regardez !

Eva parcourut du regard la feuille que Tod lui avait tendu. Elle fronça les sourcils, plissa les yeux, re-fronça les sourcils, passa un de ses doigts sous son menton, puis finit par dire :
- Vous y allez fort, non ?
- Un peu…
- Beaucoup…
- Oui, bon, et alors ? s’impatienta Tod.
- Les électeurs risquent de ne pas apprécier.
- J’en prends la responsabilité.
- Soit.

Jean baissa la tête, abattu par le travail qui l’attendait. Son week-end était d’ores et déjà gâché.

La campagne des législatives demandait de consentir de gros efforts de travail. Ainsi, Tod passait tous les jours au siège du RPR où il trouvait systématiquement Léonard Goranz. Ce dernier s’impliquait comme personne dans cette bataille et était présent dans tout les travaux, tout les débats. Tod ne pouvait lui reprocher son manque d’engagement. Ca lui faisait même peur : comment un individu pouvait concilier autant d’efforts et une vie personnelle épanouissante ? En y réfléchissant, cela lui parut impossible. Il s’en inquiétait pour Léonard. Il se sentait le devoir de lui en parler. Et en même temps, une certaine pudeur lui interdisait d’évoquer le sujet.

Ce samedi, Tod avait décidé de faire qu’un passage très bref au bureau. A vrai dire, c’était le lieu de rendez-vous qu’il avait fixé à Rébecca. L’avion de sa femme avait atterri une demi-heure plus tôt. Auguste Mac Ruffin, son fils – âgé de cinq ans et demi – accompagné de sa mère, mais aussi de leur chien Sharkie débarqueraient dans les locaux sous peu. Cela laissait juste le temps à Tod de régler quelques détails. Il s’installa derrière son bureau et griffonna des mots à l’attention de ses collaborateurs. Il cacha les paquets de chips aux algues que le docteur et Becky lui avaient formellement interdit. Il s’apprêtait à ranger un dossier quand il entendit Léonard parler dans le couloir à une femme. C’était probablement Rébecca. La porte s’ouvrit et elle entra en furie :

- Tod ! Espèce de goujat, de profiteur…
- Bonjour mon petit sucre d’orge, susurra Tod.
- … de spoliateur
- Ma libellule…
- … d’escroc !
- Ma p’tite chatte…
- C’est quoi ça ? demanda Becky d’un ton ferme en balança à la figure de Tod un journal fantispais.
- Mon cœur, c’est un journal.
- Arrête Tod de me prendre pour une courge… là ! l’article !
- Mon oiseau des îles, c’est un article politique écrit par… Mélinda Krapa… Ah ? Connais pas !

Becky saisit Tod par la cravate et l’attira vers elle.
- Primo : tu utilises encore un seul de tes foutus mots doux à la con et je te fais bouffer ce papier… Secondo : Tu arrêtes de me croire plus bête que je ne suis. Tertio : qu’est-ce que ça veut dire ce bordel ?
- Becky écoute, comprends-moi ; le parti est en reconstruction. Nous étions en manque de candidats, alors…
- Alors, tu t’es dis que tu allais me coller sur ta foutue liste sans m’en parler…
- Non, j’allais le faire… maintenant. Tiens, je t’ai même acheté tes chocolats préférés…

Elle prit le paquet et le balança par la fenêtre ouverte.
- Tu vas me retirer de ta liste.
- Becky, ce n’est pas possible. Et puis, tu as l’occasion de t’investir publiquement. Tu peux devenir quelqu’un…
- Quoi ?? Quoi ??? Parce que pour toi, je ne suis personne ?
- Non, non. Ce n’est pas ce que je voulais dire…
- Alors qu’est-ce que tu voulais dire ? Qu’à part élever notre gosse toute seule, je ne fais rien de ma vie ?
- Je n’ai rien dit de tel.
- Ecoute Tod. Finalement, tout bien réfléchi, je vais rester sur cette liste.
- Ah ! Tant mieux Becky.
- Je vais même m’investir dans cette campagne en étant présente aux meetings.
- Je vois que tu as retrouvé la raison. C’est super.
- Mais, crois-moi, au sein du parti, je ne serai pas un cadeau. Je pourrais même soutenir un courant différent au tien…
- Tu… tu plaisantes, hein ?
- J’ai l’air de plaisanter ?
- A vrai dire, pas trop.

Elle se retourna et s’en alla, laissant Tod dans son bureau. Goranz avait observé la scène et se délectait de ce moment. Il était dans l’encadrement de la porte et afficha un léger sourire, mi-moqueur, mi-compatissant.
- Vous aviez raison Tod ; elle a du caractère…

Le pincement de lèvre de Tod fut sa seule réponse. Goranz reprit :
- Je vous l’avais dit que vous ne vous en occupiez plus assez.
Léonard se détourna d’un pas léger et lent en sifflotant. Tod grimaça et souffla bruyamment.

Tout avait été arrangé en quelques heures ; le déplacement sur le port qui permettrait à Tod de rencontrer les pêcheurs avait été déplacé à mardi. Par conséquent, le meeting prévu ce jour là dans le stade du quartier du sud de Tétaou avait lieu ce dimanche. C’était ainsi que le chef du RPR avait exigé que cela soit arrangé. Malgré les réticences de son staff de campagne, il avait le dernier mot. Une grande estrade avait été installée au nord du terrain ; la scène ressemblait beaucoup à celle de la salle des fêtes où s’était déroulé le premier meeting : un petit pupitre, un fond bleu et une phrase inscrite en gros caractère blanc. Cette fois-ci, on pourrait lire derrière le représentant du RPR « Osez l’audace, osez l’avenir, osez le RPR ! ».

Le contenu du discours de ce meeting était bien plus offensif. Le but était de prouver aux électeurs que le Rassemblement Pour une République était en mouvement, en ordre de bataille pour assurer le pouvoir et ses responsabilités. L’aphonie du MPD était une occasion supplémentaire pour cette offensive qui permettrait d’ouvrir sur la droite du RPR une porte qui pourrait être déterminante. La soudaine apparition des extrémistes gauchistes n’inquiétait guère Tod. Il savait fantispa tourné vers le monde économique et financier, rendant ainsi cette liste inoffensive. C’est donc dans un état d’esprit volontaire et « d’attaquant » qu’il monta sur scène emporté par la musique toujours trop forte qui envahissait les tribunes de ce stade. Il pouvait voir au premier rang des visages qu’il connaissait : Léonard Goranz, Nina Vox, Jean Baubinne, Eva Zhyon, mais surtout Rébecca qui était venue en ronchonnant. Néanmoins, elle arborait un léger sourire pour donner le change : elle restait en colère contre Tod et son comportement. Tod était malgré tout attendri, Becky restait à ses côtés, elle avait toujours su le soutenir et notamment dans les périodes difficiles. Il commença donc à s’adresser à la foule.

Mes très chers amis. Je vous remercie de vous être donné la peine d’être venu aujourd’hui ici pour défendre nos idées. Vous le savez, la campagne électorale est ouverte depuis quatre jours. Les listes ont fleuri depuis notre premier meeting. Oui mes amis, des illuminations, des destinées soudaines se sont fait jour, presque brutalement. Au Parti Monarchiste par exemple qui a soudainement eu l’idée de placer en position favorable l’un de mes ex-collaborateurs. « Et alors ? » me direz-vous. Rien. Il est simplement étonnant de voir apparaître une telle… personnalité au sein d’un parti, qui au passage n’a pas grand chose à proposer. Ah si… pardon ! Le PM propose aux fantispais la féodalité, le Moyen-Âge et le retour à la discipline… Tout un programme… en effet.

Heureusement, le PCF est là ! Le PCF qui a réussi à finaliser et publier sa liste juste à temps… Sans doute avaient-ils des difficultés à trouver des volontaires à la défaite qui les attend probablement. Parce que comment accepter de voir le PCF reprendre les rênes du pouvoir alors qu’il nous parle que d’économie et d’argent pendant que nos institutions sont aux aboies ? Comment accepter que le PCF refuse de nous parler d’immigration, de culture ou d’environnement ?

Nous disons qu’il ne le peut pas. Mais rassurez-vous mes amis… le MPD est là ! Le MPD qui s’est souvenu qu’il y avait des élections législatives et qui est abandonné par tout ses grands dirigeants. Le MPD va devoir improviser pour gouverner s’il atteint le pouvoir. Quant aux Merksistes-Luninistes, tout est dit dans leur nom…

Mais que propose le RPR en attendant ? Je vous ai parlé il y a quelques jours de nos institutions, de l’économie et j’ai un peu abordé le sujet des relations internationales. Je souhaite revenir un peu sur ce dernier point. Comme je l’expliquais, nous avons tout intérêt à entretenir qu’un faible nombre de relation afin de privilégier la qualité. Nous possédons déjà des relations bien avancées avec la CSH et l’Ecodémocratie de Prya. Cela constitue déjà un socle très solide. Y ajouter une ou deux nations à ce panel permettrait de bénéficier d’un réseau suffisamment puissant pour exister.

Il ne s’agit pas néanmoins de rejeter les autres nations souhaitant entretenir des liens, mais de calmer les choses en exprimant un souhait de patience ; on ne devient pas subitement ami du jour au lendemain.

Quant à l’adhésion à des structures internationales, j’y suis opposé. Il suffit de constater le pitoyable spectacle se déroulant à l’ONA et causé par un seul membre, il n’est pas utile de sortir des grandes écoles de Tétaou pour comprendre que ce genre de structure à grandes échelles est vouée à se paralyser lentement.

D’ailleurs, dans le même ordre d’idées, le RPR propose également une démilitarisation partielle de Fantispa. On peut estimer que 70 à 80% des effectifs et des armes ou engins appartenant à notre armée n’a pas lieu d’être. Cependant, le secret de l’Etat Major qui entoure les moyens militarisés de notre nation nécessite la création d’une caserne afin de centraliser le restant de notre armée. Toutes les autres infrastructures seront détruites ou réhabilitées. Fantispa n’a pas vocation à entretenir des engins de mort alors qu’elle est une nation pacifiste.

D’un point de vue plus « local », Fantispa est dans une situation d’incertitude concernant ses frontières, le cadastre de sa/ses ville(s). Il sera impératif de régler définitivement ce problème. Comment pourrait-on construire une nation si les contours en restent flous ? Par ailleurs, l’élaboration d’un réseau de transport en commun urbain – et éventuellement inter-urbain - devra être instauré. A ce titre, nous devrons faire le choix de la protection de l’environnement et choisir des modes de transport doux, sans impact sur l’environnement.

Enfin, nous devrons marquer le renouveau fantispais par la construction d’un monument dont la portée culturelle et symbolique démontrerait notre appartenance à la liberté, le travail et l’espoir.

Chacun d’entre nous a un rôle à jouer dans le projet que je vous expose encore aujourd’hui. Je n’y arriverai pas seul. Seuls, nous sommes démunis. Ensemble pour la République, pour un Fantispa différent, on y arrivera. Votez RPR ! VIVE FANTISPA !

Comme presque chaque jour, Tod présidait une réunion de travail visant à faire le bilan de la journée précédente et de l’action à mener. Si Nina Vox était absente lors de cette séance, Jean Baubinne, Eva Zhyon et Léonard Goranz étaient naturellement présents, mais aussi Fritz Muls, le coordinateur à l’action militante du parti. Ce dernier était un grand bonhomme, maigre, au visage effilé et à la mâchoire ronde. Son charisme n’était pas évident, mais ses yeux transperçait les personnes qu’il regardait. Tod pensait qu’il devait être fort perspicace pour déceler la véritable nature de n’importe quel individu. Il avait un ton sacadé et sa voix n’imposait pas une attention particulière sur lui. Tod lui adressa directement la parole, il voulait savoir quel avait été le retentissement du meeting dans les rangs du RPR.
- Que pouvez-vous nous raconter sur ce qui ce dit à la base ?
- Pour être franc, votre intervention d’hier au stade n’a pas fait l’unanimité. Si certains mettent en avant votre combativité, d’autres pointent du doigt une certaine agressivité qui risque de peser au moment où il faudra probablement collaborer avec un autre parti – si toutefois nous sommes en bonne position, ce qui est loin d’être acquis, expliqua Muls calmement.
- Ils l’ont pris comme une agression ? demanda Eva.
- Oui, même s’ils sont satisfaits du contenu, les assauts sur les autres protagonistes de ces élections en laissent certains perplexes.
- Sont-ils majoritaires ? s’enquit Léonard.
- Impossible à dire. Je ne pense pas. Vous gardez encore une très bonne popularité auprès des militants Tod. Mais, je vous conseille d’être plus consensuel ; vous pourrez conquérir un plus grand nombre d’électeurs.

Tod n’était pas d’accord avec cette analyse. Cependant, il respecta l’avis de Muls et n’intervint pas.
- Autre chose ? questionna-t-il néanmoins.

Muls répondit d’un signe de tête par la négative.
- Léonard ? Eva ?

Léonard imita Muls et regarda Eva comme pour lui donner la parole. Elle l’a prit :
- Jean propose de modérer nos prises de position. Nous avons été très présent, il ne faudrait pas que les électeurs se sentent oppresser. Je propose donc de renoncer à la conférence de presse que vous aviez envisagée Tod.

Tod grimaça et prit le temps de la réflexion. Comme Eva sentait le doute s’immiscer dans l’esprit de son poulain, elle décida d’enfoncer le clou.
- Nous devons créer un petit manque. Manque tout relatif puisque nous avons un déplacement dès demain sur le port.

Tod baissa les yeux sur la table et approuva de la main
- Entendu, faîtes suivre l’information à Nina. Elle va être contente, elle qui a travaillée toute la journée d’hier à ce rendez-vous… Autre chose ?
- Oui, dit Eva. Le PCF a lancé de nouveaux tracts.

Tod se redressa sur sa chaise. L’information lui avait échappé.
- Ah oui ?
- Oui. Tenez. Je ne sais pas si vos assauts d’hier y sont pour quelque chose, mais l’axe d’attaque de ce second tract est la culture.

Tod écoutait sa directrice de cabinet tout en parcourant le papier à l’entête du PCF. Jean prit la parole pour la première fois depuis le début de la réunion.
- Ce qui est intéressant dans leur communication, c’est qu’ils procèdent par point très précis et court. L’économie dans le premier, la culture dans le second. Cela représente aussi un risque de décevoir les électeurs qui passeraient à côté d’un ou plusieurs tracts. Toutefois, cela a aussi un avantage important, c’est la simplicité et la clarté de leur communication.

Tout ceci représentait pour le chef de file du RPR que du blabla appris dans les écoles. A chacun sa vérité sur le sujet. Ce qui marquait Tod, c’est que le PCF et le RPR se « suivaient », articulaient leur campagne de façon très proche. Il ne put contenir un petit sourire qui se dessina sur ses lèvres. Il pensait à Julio ; « Ah ! Si nous avions été dans le même camp, quel duo on auraient fait ! » pensa-t-il.

En ce début d’après-midi de mars, une légère brise balayait les quais du port de Tétaou où l’activité y restait modeste. L’économie vacillante de la principauté n’épargnait pas les activités portuaires. Tant les exportations que les importations se faisaient rares, sinon inexistantes. Seuls les pêcheurs arrivaient encore à trouver leur intérêt à sortir en mer. Ils rapportaient sur les terres les denrées que les entreprises ne produisaient plus ou pas assez. Eva Zhyon dit en se pinçant le nez – ce qui lui donnait une voix nasillarde « C’est insupportable cette odeur ! ». Au contraire, Tod respirait profondément les effluves iodées qui – dans son imaginaire – l’emportait dans des contrées lointaines où l’attendaient l’aventure, le suspens et les beautés du Micromonde. Il reconnut néanmoins que certaines odeurs de « poissons pourris » gâchaient un peu cette atmosphère. Léonard Goranz, Jean Baubinne, mais également Rébecca étaient présents pour cette rencontre.

La douzaine de pêcheurs qui accueillirent le groupe du Rassemblement Pour une République avaient les visages marqués par les vents, l’eau salée et la dureté du travail qu’ils accomplissaient. Ils avaient tous des mains rugueuses et une poignée de main ferme et solide. Le patron d’un bateau de pêche interpella Tod.
- Vous comptez faire quoi pour nous ? Ca fait des années qu’on demande la rénovation du port, qu’on demande des aides financières, qu’on réclame davantage d’échanges économiques avec nos voisins… On n’a pas eu grand chose.

Au moins, le dialogue était franc et direct. Tod secoua la tête et tenta d’expliquer
- La rénovation du port est une chose envisageable et même nécessaire. Mais les aides financières que vous demandez ne sont pas…
- Oui, on sait, lança un pêcheur. Les caisses sont vides, il y a d’autres priorités… patati patata !
- En quelques sortes, c’est un peu ça, répondit Tod en étonnant l’assistance. Il y a énormément de choses, de projets à mener qui sont vitaux à la reprise. On ne pourra pas contenter tout le monde. Et encore moins en quelques semaines… Mais, nous ne vous oublions pas. Notre présence aujourd’hui le prouve.
- Parce que vous avez besoin de nos voix… Après…
- On n’a besoin de votre soutien. Mais, on ne vous oubliera pas malgré tout.

Tod ne semblait pas avoir convaincu. Toutefois, la franchise du discours semait un peu le trouble. « C’est toujours cela de gagner » songea-t-il. Il eut un regard complice avec Eva Zhyon. Elle semblait se contenter de son intervention. Léonard regardait la scène, mi-amusé, mi-concerné. Il jouait de sa nouvelle position de numéro deux du parti – du moins sur la liste électorale. Becky restait près de Tod pour faire corps, elle s’intéressa au métier des pêcheurs, leur posa des questions diverses sur la façon de pêcher, ce qu’ils allaient chercher en mer…

La rencontre se poursuivait par une sortie en mer. Deux photographes accompagnaient le groupe - il faudrait bien immortaliser le moment afin de communiquer sur cette rencontre. La mer était légèrement agitée selon les pêcheurs, bien agitée selon les visiteurs. Tod s’accrochait au bastingage avec les deux mains, à moitié couché par dessus bord et gémissait. Eva s’approcha de lui confuse.
- Tod ? Il serait tant de faire une ou deux photos.
- Je crois que je… je n’ai pas fini de dégueu…. Bbbbouarr…

Eva eut un haut le cœur provoqué, non pas par les mouvemants pendulaire du bateau, mais par tout ce qui sortait de la bouche de Tod.
- Vous auriez dû me dire que vous aviez le mal de mer. Nous n’aurions pas organisé cette sortie.
- Figurez-vous que je l’ignorais moi-même. Ce n’est pas la première fois pourtant que…. Bbbbouuuuaaaaarrr… Oooh, j’ai mal… de partout.
- Je suis navrée, mais il faut faire ses photos.
- Bonne idée, ironisa Tod, vous préférez que je vomisse sur qui ? Jean, Becky ou vous ? Je suis certain que nos adversaires se… régaleront en voyant ces clichés dans la presse…

Eva soupira. Elle détourna le regard vers Becky, Jean et Léonard qui occupaient les trois pêcheurs et les deux photographes pendant que le chef du RPR se… refasse une santé… Soudain, il se redressa maladroitement en s’essuyant la bouche avec un mouchoir blanc. Il se tenait le ventre et grimaça.
- On va essayer maintenant, je crois que je n’ai plus grand chose à rendre à la mer…
- Bien. Allons-y ! Mon dieu, que vous êtes pâle !
- Je suis désolé, j’ai oublié mon fond de teint dans mon sac à main à la maison, plaisanta Tod.
- J’ai le mien si vous voulez ? surenchérit Eva.
- On fera sans. Vite, appelez nos deux paparazzi, qu’on en finisse.

Tod songea un instant à Nina qui regrettait tant de ne pas avoir été autorisée à accompagner le groupe. A cet instant, il aurait donné beaucoup pour échanger leur place respective.

- Oooooh ouuuiiii… oooh, ouiouiouuuuii. Oooh, c’est bon… Encore ! Pitié Becky, encore ! Aaaaooohh… Plus haut, plus haut… Ahaaaaahaahh… Que c’est bon quand tu me masses… J’ai tellement mal au dos.
- Tu restes trop debout. Et puis, tes postures ne sont pas bonnes.
- Mes postures ? On parle de quoi ?
- Tod !
- Aaaaaaahhh…
- J’ai bien aimé cette rencontre, hier, avec les pêcheurs.
- Ah bon ?
- Oui. C’était plutôt marrant de tenter de séduire, convaincre ces gens.
- T’es sérieuse ?
- Bien sûr ! Je me demande si je ne devrais pas m’investir davantage au sein du p…
- Non mais tu rigoles Becky ? Tu me fais une scène parce que j’ai… oublié de te demander ton autorisation pur t’inscrire sur notre liste. Et maintenant, tu veux… tu veux t’investir encore plu au RPR ??
- Pourquoi pas ? Et je te rappelle que tout cela ne serait pas arrivé si tu n’en faisais pas qu’à ta tête.

Tod se releva brutalement et enfila son tee-shirt. Son air contrarié montrait la surprise de l’intervention de Becky.
- Tant que je serai à la tête de ce parti, tu ne prendras aucune fonction en son sein.
- Pourquoi ?
- Parce que… Parce que j’en fais qu’à ma tête ! Et pis, c’est comme ça et c’est tout !

Il sortit de la chambre, laissant Becky seule sur le lit. Un sourire malicieux pouvait se lire sur son visage. Elle serra le poing et parla à haute voix pour elle-même.
- Je t’avais prévenu que tu allais le regretter mon chou !

La fatigue, la nervosité et même la lassitude se lisaient sur tout les visages du groupe de campagne du RPR. Il fallait bien se rendre à l’évidence : les monarchistes avaient raison de souligner la trop longue durée de cette campagne électorale. Elle était éprouvante pour tout les groupes de campagnes, mais aussi pour les électeurs qui devaient subir les assauts des candidats et de leur équipe. Cette durée trop large était aussi néfaste au pays ; elle essoufflait le regain d’activité et la volonté de réformer le pays. Ce constat ne devrait pas être oublié lors des réformes que le parti soutiendrait qu’il atteigne le pouvoir ou pas. En attendant, la réunion journalière de l’équipe de campagne avait lieu. Elle était plus courte que d’habitude en raison de la rencontre avec les entrepreneurs fantispais qui aurait lieu cet après-midi. Tod restait silencieux comme il l’aimait le faire. Ca lui permettait d’écouter ses collaborateurs, mais aussi de rêvasser si le contenu de la réunion l’ennuyait. Nina, toujours aussi timide n’osait pas interrompre Eva Zhyon qui expliquait les derniers évènements.
- Nous ne savons plus ce que fait l’armée. Les derniers exercices n’ont donné lieu à aucune explication. Cela sert nos intérêts et la démilitarisation partielle que nous proposons.
- Pas sûr ! intervint Léoonard. Les fantispais sont très attachés à leur armée, il n’est pas certain que notre proposition soit la bienvenue…

Cette réflexion réveilla Tod.
- Que voulez-vous dire Goranz ? Qu’on devrait s’abstenir de démilitariser ?
- Qu’on devrait surtout s’abstenir d’aller en opposition aux volontés du peuple.
- Nous n’agirons pas en « sous-marin ». On propose, le peuple dispose. S’il ne veut pas de nos propositions, le peuple oubliera notre bulletin dans l’isoloir et ne le glissera pas dans l’urne.
- Jouer les angélistes, c’est bien pour la presse, mais pour le peuple…

Eva Zhyon interrompit le débat, sentant que chacun des deux hommes étaient prêts à défendre leur point de vue.
- On s’écarte du sujet.
- Je ne crois pas, glissa Léonard.
- Nous avons déjà établi notre programme, reprit Eva. Il s’agit pour nous de le défendre désormais. L’armée nous laisse une fenêtre de… de tir.

Jean vint au secours d’Eva en évoquant le fond de la campagne.
- Par ailleurs, le PCF a exposé ses engagements concernant le transport hier. Certains correspondent totalement avec ce que nous avons proposé. C’est la première fois depuis le début de la campagne où nos deux partis semblent en parfait accord. Du moins sur l’établissement d’un réseau de transport urbain, et voire inter-urbain.
- Mais il y a un problème, intervint Nina Vox. L’aéroport militaire… Nous avons clairement dit que nous détruirons toutes les installations militaires en contre-partie de la construction d’une caserne afin d’y centraliser nos moyens militaires.
- La destruction ou… la réhabilitation, corrigea Tod. Cet aéroport peut devenir totalement et exclusivement civil.
- Ca coûterait moins cher aux contribuables d’ailleurs, dit Eva.
- Exact, confirma la tête de liste du RPR. Tod fit planer quelques secondes de silence et reprit. Nous ne changeons rien à notre programme. Nous continuons à exposer nos idées. On attend notre dernier meeting pour mettre les derniers coups. D’autres sondages sont apparus Jean ?
- Non Tod.
- Bien, On se retrouve cette après-midi, ordonna-t-il.

Tout le monde se leva comme un seul homme et chacun retournèrent à leurs activités. Tod scruta Léonard. Celui-ci devenait de plus en plus combatif envers lui. Il faudrait qu’il songe à lui montrer qui dirigeait le parti.

« - … alors que les taux d’intéressements augmentent malgré une consommation qui a faibli durant les cinq dernières années. La concentration des investissements dans les domaines… »

Becky se pencha près de l’oreille de Nina, alors que le Président des représentants des grandes entreprises fantispaises continuaient à baver ses données économiques incompréhensibles, et lui chuchota quelques mots

- Je m’ennuie. Qu’il est barbant !
Nina sourcilla et eut une moue compréhensive. Elle détendit ses jambes et s’approcha de Rébecca.
- Et dire qu’on n’a pas voulu que je vienne au port… mais là, pour entendre ces trucs, on fait appel à moi, confia Nina à Becky discrètement.
- Je crois qu’on aient pas les seules à s’embêter. J’ai vu Tod bailler derrière sa manche. Le type là-bas a fait semblant de se moucher alors que je l’ai vu souffler ostensiblement. Et là-bas, l’autre, il ne prend pas des notes, il dessine…
- Qu’est-ce qu’il dessine ? demanda Nina, sa curiosité piquée au vif.
- Je n’arrive pas bien à voir d’ici. Mais, ça a l’air d’intéresser sa voisine à qui il montre discrètement ses chefs-d’œuvre.
- Ah oui ?
- Oh ! Je crois que ce sont des dessins coquins… chuchota Becky.
- NON… s’emporta Nina toute émoustillée.

Les regards de l’assistance se tournèrent vers elle. Le discoureur s’interrompit. Nina devint toute rouge, enfonça sa tête dans ses épaules, chercha une aide auprès de Tod qui la regardait également de façon sévère. Elle fit un signe de tête au Président des représentants des grandes entreprises qui reprit son discours et elle baissa la tête.
« - Je disais donc les flux économiques nouveaux créés par la production externe des unités de l’activité secondaire… «

Après un moment, Becky se pencha à nouveau près de Nina et lui souffla quelques mots.
- Il a posé sa main sur son genou, vous y croyez ça ? En pleine réunion !
- Non ?! Vraiment ? Je vois rien d’où je suis…
- Oui, certaine ! Et il a plié la feuille coquine et il l’a glissée dans ses affaires à elle…
- Ils sont peut être ensemble ?
- Vous pensez ! Non, pas du tout. Tod me les a présentés tout à l’heure. C’est vraiment indécent. Ils n’ont vraiment aucune gêne !
- Oh oui, c’est vrai. Mais c’est excitant tout de même.
- Nina, voyons ! gronda doucement Becky.
- Oui, je sais…

Pendant ce temps, Tod tapota le bras de Nina et lui fit signe de donner un papier à Becky. Cette dernière l’ouvrit et y découvrit… des dessins. Nina ne put retenir un regard curieux et devint encore plus rouge que précédemment. Becky était, en même temps, outrée et ne pouvait pas admettre que ces dessins tendancieux la laissaient insensibles. Alors qu’elle continuait à observer malgré sa volonté ses griffonnages, Tod prit la parole pour répondre aux entrepreneurs.

- Je vous ai écouté attentivement messieurs…

« Premier mensonge ! » songea Becky.

- … et je dois bien admettre que dans une situation économique difficile, votre engagement pour le pays est véritablement admirable. Il est certain que bien des réformes économiques nous attendent. A tel point qu’on ne serait par où commencer. Ce qui est certain, c’est que je souhaite accentuer les efforts de l’Etat sur la consommation. Si ce levier est activé, vous, entrepreneurs, vous devrez être prêts à assurer une production répondant à cette consommation. Cette production, nous la chercherons avant tout au sein de notre économie. Si elle n’est pas suffisante, nous nous tournerons vers nos partenaires économiques. Je suis bien conscient que je ne vous promets pas mondes et merveilles. Néanmoins, je reste persuadé que la solution de la relance réside dans notre programme.

Becky regardait un des dessins étranges qui montrait les attributs surdimensionné d’un homme. « Second mensonge ! » dit-elle tout bas.

Penché sur le brouillon du discours qu’il prononcerait lors du meeting de demain pour la clôture de la campagne électorale, Tod n’entendit pas Léonard Goranz rentrer dans son bureau. Ce sont ses pas sur la moquette rouge qui lui indiqua sa présence. Il lâcha un « bonjour Léonard » plat et fatigué. Des petites cernes brunes marquaient le visage de Tod. Quant à Léonard, il affichait un sourire de sérénité sur son visage clair et tranquille. Goranz s’approchait lentement en regardant fixement le chef de file du RPR. Il lui tendit une note et finit par dire d’une voix suave et assurée :
- Bonjour Tod. Tout va bien ?

Tod qui avait replongé son regard sur son texte releva la tête et afficha un air de surprise.
- Oui… Oui, oui. Vous aussi ? De quoi s’agit-il ? demanda Tod en prenant la note.
- Le PCF organise aussi un meeting demain. A 19h.
- C’était prévisible. Et le PM ?
- Leur communication est… étrange, sans liant. On ne s’y retrouve pas.
- Mmmh…, fit Tod pour se donner l’air pensif.

Un lourd silence vint se poser dans la pièce. Goranz continuait à regarder fixement Tod. Il semblait baigner dans une sorte de plénitude rêveuse. Goranz finit par briser ce silence :
- Vous avez su pour… ?
- Pour ?… Ah ! Le soutien de Max Morton au MPD. Je dois admettre que je m’y attendais pas forcément.
- Non, non. Pour…
- Pour quoi Goranz ?
- Le… le sondage…
- Oh ! Vous savez, les sondages…, dit Tod d’un air détaché et désinvolte.
- Oui, dit Goranz avec un grand sourire découvrant ses dents trop blanches, d'un air entendu.

Léonard ne croyait évidemment pas à cette réponse. Il se détourna et s’en alla tranquillement tout en ajoutant : « Faudra qu’on en parle lors de la réunion de cette après-midi ». Tod ne répondit pas. Intérieurement, il bouillonnait. Bien sûr qu’il l’avait vu ce foutu sondage ! Ce sondage qui continuait à l’affaiblir au sein même de son parti. Ce sondage qui donnait à Goranz une attitude de plus en plus hautaine vis-à-vis de lui. Ce sondage sur les personnalités politiques qui plaçait Léonard devant Tod. D’un cheveu, mais devant tout de même. Heureusement, Hisson était loin derrière. Il n’aurait plus manqué que lui aussi le devance. Il fallait préparer la contre-attaque, mais pour le moment, le timing ne le permettait pas. Le vote des législatives allait avoir lieu. Il faudrait démontrer une grande cohésion.

Par ailleurs, ce sondage démontrait du retard des personnalités du RPR sur bien d’autres parti comme celui du PM. Toutefois, il était aussi à relativiser étant donné que la question à cette enquête d’opinion était la connaissance du grand public sur le personnel politique. Après tout, il n’était pas question de la popularité de ceux-ci. Cependant, la différence était tout de même assez mince. Tod replongea son attention sur le texte du discours de son meeting. Texte qu’il avait du mal à finaliser. Il décida d’appeler Eva pour qu’elle vienne l’assister dans cette tâche.

Max décida de profiter de cette belle journée, il ferma son bureau à Kaora, sauta dans son avion et fit un aller retour rapide à Tétaou pour saluer ses vieilles connaissances, après la publication du tract il craignait que cela passe mal dans le petit monde politique qui revivait.

Une fois arrivé au local du RPR, il frappa à la porte, des gens s'activaient, il ressentait l'ivresse des campagnes.
-Bonjour, dit-il en avançant d'un pas peu assuré, Tod Ruffin est-il dans les parages ? Je m'appelle Max Morton j'aurais aimé le saluer et prendre de ses nouvelles.
Je ne viens bien sur pas en tant que militant du MPD ou effectuer un quelconque espionnage, simplement saluer un vieil ami.

L’excitation était à son comble au sein des locaux du RPR comme elle devait l’être dans tout les autre QG de campagne. Il ne restait plus que quelques heures avant le silence radio imposé par le vote. Tony Truhant, l’un des colistiers RPR, aidaient quelques militants à ranger des documents qu’ils devraient distribuer. Nina Vox prenaient des notes. Eva Zhyon donnaient des instruction tout en parcourant les couloirs et disparaissant dans un bureau, puis dans un autre. C’est dans ce contexte de bazar organisé que Max fit son arrivée :

- Bonjour. Tod Ruffin est-il dans les parages ? Je m'appelle Max Morton j'aurais aimé le saluer et prendre de ses nouvelles. Je ne viens bien sur pas en tant que militant du MPD ou effectuer un quelconque espionnage, simplement saluer un vieil ami.

Nina lui adressa un large sourire, séduite par cette courtoisie, mais aussi cette méfiance, cette peur de créer un incident, un drame politique.
- Il est comme bien souvent enfermé dans son bureau. Ne vous inquiétez pas, votre présence n’est pas considéré comme un acte hostile. Venez, je vous accompagne.

Nina montra d’une main le chemin à suivre sur lequel Léonard Goranz se plaça.
- Laissez Nina. Je m’en occupe.
Nina cilla en respectant un léger silence, puis inclina la tête pour approuver. Léonard se tourna vers Max Morton. Il prit un ton posé et distant. Un ton qui n’était pas froid, mais qui ne se voulait pas chaleureux.
- M. Morton ? Je vous invite à me suivre. Alors, vous le connaissez ? Vous êtes donc ici en visite privée ? En même temps, imaginez que le MPD vous envoie pour négocier semble pas très crédible. Le MPD possède un socle électoral, mais les choses pourraient bientôt changer…, dit-il avec regard de défi et un léger malicieux et coincé.

Ils arrivèrent devant le bureau de Ruffin. Léonard avait pris l’habitude de ne plus frapper à la porte, il entra accompagné par Max. Tod était au téléphone.

- Oui… Non !… Non, hors de question… Eléonor ?!… Allô ? Allô ?… Ah quelle vieille carne, elle a raccroché !… Oui Léonard, c’est p… Max ???… Léonard, dehors !
- Je vous rappelle Tod que nous avons une réunion dans un peu moins d’une heure et demie, dit Goranz en jetant un œil à sa montre. Et, elle n’est pas facultative… comme celle d’hier…
- Goranz !

Léonard se détourna, sourire aux lèvres. Il jeta un dernier coup d’œil à Max et sortit lentement.

Max regarda autour de lui les gens s'agitaient, une jeune femme lui répondit :
- Il est comme bien souvent enfermé dans son bureau. Ne vous inquiétez pas, votre présence n’est pas considéré comme un acte hostile. Venez, je vous accompagne.

Max reprit : "Merci beaucoup mad.." et fut coupé sèchement pas un autre homme, bien moins amical.
- Laissez Nina. Je m’en occupe.

Max regarda la jeune femme et lui sourit : " Merci de votre accueil et de votre chaleur mademoiselle, bon courage pour cette dernière journée".

Il suivit alors l'homme qui ne lui inspirait une confiance des plus relative.
- M. Morton ? Je vous invite à me suivre. Alors, vous le connaissez ? Vous êtes donc ici en visite privée ? En même temps, imaginez que le MPD vous envoie pour négocier semble pas très crédible. Le MPD possède un socle électoral, mais les choses pourraient bientôt changer…, dit-il avec regard de défi et un léger malicieux et coincé.

-En effet en visite privée, je connais Tod depuis quelques années, et malgré mon soutien à mes anciens amis j'espère bien que les choses changeront comme vous dites, surtout vu la situation du pays quelque soit le gagnant.

Une fois arrivé dans le bureau il tomba sur Tod au centre, au téléphone, en chef. Même en politique il change peu pensa t-il, il avait cette expression d'une fin d'édition à la Gazette.
-Au revoir monsieur Goranz, rassurez-vous je ne prendrais pas votre patron très longtemps. Et fermez donc cette porte, on dirait un hall de gare, vous êtes dans le bureau de votre boss mon p'tit.

-Puis il se tourna vers Tod. Eh ben tu as réuni une équipe bien dynamique. Et en peu de temps félicitations. Je me suis rendu compte que depuis ton retour, à part quelques lettres nous ne nous sommes pas vu, et même si c'est un peu tard je te souhaite bonne chance pour cette fin de campagne, je me doute que ce ne doit pas être évident. Mais tu feras un bon leader de l'opposition dit-il en souriant, ou un très bon ministre, voir premier ministre. Quoique..le jeune homme que j'ai vu  pourrait bien te bouffer, à l'occasion rappelle lui qui est le boss.

Le cœur de Tod se gonfla. La façon dont avait remis à sa place Léonard, avec une dose de civilité, mais une pointe acide lui rappelait à quel point Max avait un sens de la communication pointu. Cela le ramenait bien des années en arrière. Toutefois, Tod balaya ses souvenirs, il devait être dans l’action et plus dans la mélancolie. Il se leva et se permit une accolade amicale franche et sincère.

- Tu as raison, cela fait tellement longtemps qu’on a pas pu se voir en chair et en os. Ca fait tellement plaisir de te revoir. Il faut dire qu’il est difficile de croiser le Président de l’Ecodémocratie.

Cette fois-çi, c’est Tod qui devenait malicieux ; taquiner l’ex-retraité que Max était devenu était aussi une façon de faire un clin d’œil au passé, un coucou à de très bons souvenirs, ceux de l’insouciance de la vie pryanne. Il reprit :

- J’ai l’impression que tu te portes bien. Ha, je suis désolé, je n’ai même pas d’Ydel ou de Vodkoko à t’offrir.

Il chercha dans un petit placard.
- Je n’ai rien à t’offrir à boi… ah si… Becky m’a déposé… du… du jus de goyave ?

Il sortit du placard une brique comportant la mention « Bio ». Pryanne un jour, pryanne toujours ! Becky prenait un soin infini à consommer de façon responsable. Il reprit le cours de la discussion en répondant à Max.
- Oh tu sais, souvent, lorsqu’il faut faire un choix politique, je me demande comment toi ou Raito auriez réagi. Je ne trouve pas la réponse à cette question bien souvent. Mais je tente de m’inspirer de vos parcours respectifs. Je ne suis pas certain qu’on soit en mesure d'atteindre le pouvoir. Néanmoins, on va être un poil à gratter...

Tod invita Max à s’installer et lui proposa malgré tout le jud de chaussette de Becky.
- Goranz ? Il a prit une place que je m’attendais pas à ce qu’il prenne. Mais… j’ai déjà mon idée sur la façon de le remettre à sa place… Le RPR est un parti un peu organisé et que j’ai la chance de diriger. C’est de l’intérieur que je peux le… court-circuiter. Et toi alors ? La Présidence ? Comment va Tindali ? Oh, j’ai eu vent du projet Zootopia, c’est intéressant. Prya avait une approche un peu différente, mais la finalité est toujours la même. C’est bien ça l’essentiel.

-Oh ne me titilles pas là dessus, un président par intérim, nommé dans un état d'urgence, dieu merci il n'y a plus de presse digne de ce nom à Prya dit-il en souriant.
Un jus de Goyave ? Pourquoi pas, il va falloir te mettre à la bibine locale, la Spéciale de Tétaou est inégalable dans le micromonde.

Max s'installa en face de Tod. Il avait l'air plutôt à l'aise dans ses nouvelles fonctions.
-Oui je vais bien je te remercie, en effet j'ai repris Zootopia. Notre position à l'internationale est trop ambigu. Quand je pense que des chasseurs Krasslandais nous survolais.. On marche sur la tête, à Prya tu imagines ? C'est un peu hypocrite de se dire contre les armes, mais d'appeler les autres à la rescousse.
L'idée c'est d'être cohérent, de faire un pas sur le coté comme on dit, nous sommes pacifistes et l'assumons, nous nous donnons les moyens d'éviter les conflits pacifiquement. Cela nous redonnera du poids et nous permettra de redonner du sens à notre recherche de paix. Je travaille sur les baleines actuellement, je vais voir ce que cela donne.

Bref laissons Prya ou elle est, je compte bien suivre suivre de près ces élections !
J'ai fait émettre un message de soutien, mais ton parti va plus loin en prônant une république. C'est une bonne chose. J'espère que vous ferez la surprise, d'autant qu'il y a des listes assez extremistes, ton ancien secrétaire aurait mieux fait de rester dans la rue.
Becky et toi vous êtes engagé ensemble, qu'en est-il d'Auguste ? à l'école ? En réserve pour ton meetings final, dit-il en souriant.