Congrès de Torfolu du RPR

L’organisation précipitée du Congrès de Torfolu du RPR avait amené le Président du parti à prévoir un programme des discussions très allégé. Cette précipitation avait d’ailleurs pris tout le monde de cours. Pourtant attendu – et même vivement souhaité par certains comme Léonard Goranz – le Congrès du parti amenait les différents acteurs républicains à sauter les étapes. Ainsi, il devenait difficile d’anticiper, de prévoir, d’organiser ses troupes. C’est un élément qui avait poussé Tod à agir de la sorte : une belle manipulation qui pourrait être difficilement contestée tant la pression de Goranz par exemple avait été forte pour organiser enfin ce congrès.

Le choix de la ville avait été aussi un point très discuté entre Eva Zhyon et Tod. La directrice de cabinet souhaiter que le parti opte pour la Capitale, alors que Tod ne souhaitait pas s’introduire dans le « nid ». En effet, Fanto – et plus précisément Sorlop – était, depuis les dernières législatives, le jardin d’Irina Kudovrinka, la vice-présidente du parti et la principale concurrente de Tod. Il était hors de question pour lui de se rendre dans le fief de celle-ci au risque de subir les quolibets, voire les sifflets de ses supporters. Néanmoins, il était obligé de placer le Congrès du RPR en Fanto, dans la région où leur parti avait obtenu le meilleur score lors des dernières législatives. Torfolu possédait l’atout de se trouver en Fanto, mais très proche de la frontière avec Tispana. Un compromis plutôt acceptable.

Après l’annonce de la tenue du Congrès, Léonard Goranz s’était répandu dans les médias pour s’étonner d’une telle précipitation. Il en profitait pour souligner que « selon les statuts du parti, ce congrès aurait dû avoir lieu mi-juin, juste après les élections. Mais que les dirigeants étaient sans doute trop occupés à négocier leur entrée dans le gouvernement… » Une attaque en règle dans les médias qui avaient déclenché une colère colossale de Tod. Ce dernier pestait dans les bureaux du RPR sur Léonard en lui rappelant que ces mêmes statuts prévoient l’exclusion pour ceux qui ne suivent pas les décisions collégiales du parti. Ce à quoi, Goranz répondit avec assurance que cette décision n’avait « rien de collégiale d’une part puisque prise unilatéralement par la direction et qu’elle n’est pas une décision politique, mais organisationnelle d’autre part ». Réponse qui provoqua une volée de mots doux balancés par Tod. Ce dernier savait pourtant que, dans le fond, Goranz avait raison. Irina Kudovrinka tentait de calmer le jeu en notant qu’il fallait désormais passé au vif du sujet : le Congrès et son déroulement. Eva Zhyon approuva : la déclaration de Goranz était faite, on ne pouvait pas faire marche arrière. Le bureau politique aboutit à un planning du congrès réduit à son minimum. Les candidats déclarés étaient les mêmes que ceux du Congrès de Tétaou (Kudovrinka, Goranz, Ruffin) au détail près que la candidature surprise d’Alexia Lapierre vint s’ajouter aux trois noms. Quatre candidats à la présidence du parti. Cela faisait beaucoup. Tod se réjouissait intérieurement de la candidature surprise d’Alexia Lapierre, la Présidente du Parlement et surtout l’(ex?)-second couteau de Léonard Goranz. Le clan de celui-ci se fissurait et sa position devenait subitement très fragile. Il fit mine de ne pas être atteint par cette demi-trahison. Pendant ce temps, Alexia justifiait sa candidature par le souhait de redonner à l’aile gauche du parti un nouveau souffle et de nouvelles possibilités. Elle tentait de ne pas égratigner son mentor, mais voulait ni plus, ni moins le mettre au placard. Cela paraissait évident. La présidente du Parlement était animée par des ambitions nouvelles nourries par son accession à ses fonctions actuelles. Elle semblait avoir oublié qu’elle le devait par le soutien mitigé des conservateurs qui souhaitaient favoriser un contre-pouvoir fort. Jean Baubinne, le "Monsieur stats" du parti avait dressé des tendances qui se dessinaient : Goranz semblait perdre inexorablement du terrain. Lapierre ne ferait pas d’ombre. Irina avançait et séduisait de plus en plus d’adhérents tandis que le réservoir de supporters de Tod diminuait légèrement. La confrontation entre le Président et la Vice-Présidente du parti semblait être la clef de ce congrès.

Nina Vox était à nouveau l’animatrice du congrès républicain. Elle ouvrit le rassemblement par quelques mots de bienvenue et souhaita à tous un bon congrès. Le discours du Président avait été supprimé du programme. Après tout, Tod était candidat et lui offrir du temps de parole supplémentaire aurait été un peu injuste. Dans ces conditions, Nina appela le premier candidat à la présidence du RPR à venir sur scène pour présenter ses motivations. Alexia Lapierre était la première désignée. Elle se présenta sur scène sous quelques sifflets. Son ambition surdimensionnée soudaine n’avait pas soulevé l’enthousiasme des foules.

Alexia Lapierre : - Chars camarades. Le contexte politique a beaucoup changé. Des partis renaissent. Des voix nouvelles se font entendre. Le RPR doit dessiner une vision sociétale claire et bien différente des autres mouvements politiques afin de se démarquer. Vous le savez, je suis une républicaine convaincue. Nous devons désormais refuser clairement et nettement la monarchie et ses privilèges. Nous devons sortir du système et ne plus l’encourager en y participant. Nous avons des valeurs républicaines, assumons-les ! N’ayons pas honte de nos idées. N’hésitons pas à envisager toutes les possibilités. Pourquoi ne pas négocier des alliances avec des mouvements éloignées de nos politiques, mais en accord avec cette idée impérieuse de l’éradication monarchique ? N’ayons pas peur des mots et des maux ! Soyons courageux !

Dans l’assistance, Tod grimaçait. Les propos presque extrémistes de la Présidente du Parlement le mettait mal à l’aise. Il faudrait qu’il y songe à ajouter deux-trois mots sous-entendus à son adresse lorsque son tour viendrait de monter sur scène.

Nina Vox continuait à jouer la maîtresse de cérémonie en remerciant Alexia Lapierre et en invitant Irina Kudovrinka à monter sur scène à son tour. D’un pas décidé, la jeune femme se présenta devant l’assistance déchaînée.

Irina Kudovrinka : - Mes amis. Alexia l’a soulignée : le contexte politique change. Le MPD est de retour sur la scène médiatique. Les merkistes-luninistes semblent avoir trouvé un nouvel homme fort. Le RPR doit marquer son territoire et tracer les lignes de sa politique générale. Pour ma part, je continue à croire que notre mouvement devrait se fondre dans la société fantispaise en adoptant sa culture. Ne nous le cachons pas, la monarchie parlementaire est profondément inscrite dans la société fantispaise. Vouloir dénaturer la Principauté, c’est déraciné tous les fantispais d’un socle commun qui fonde notre pays. Je plaide pour la fin de nos volontés républicaines en réclamant en contrepartie des droits renforcés pour chaque citoyen-sujet. Notre parti doit se moderniser en changeant de vision, d’orientation, de nom et de leader. La crise rencontrée début juillet avec la loi sur la protection des symboles fantispais démontrent notre décalage avec les fantispais. Nos revendications étaient à deux doigts de devenir illégales. Mais notre réflexion ne doit pas s’arrêter à un choix entre la république et la monarchie parlementaire. Nous devons dessiner les contours de la politique que nous désirons. Je souhaite que notre mouvement propose une société libérée des contraintes et conventions économiques et se tourne vers une vie sociale et culturelle développée. Les échanges interpersonnels doivent être encouragés et récompensés. Arrêtons de nourrir un monde économique peuplé d’industriels avides d’argent et nourrissons nos esprits par les échanges humains.

Toujours enfoncé dans son siège au premier rang, Tod applaudissait mollement. Irina avait trouvé un nouvel créneau qui permettait d’élargir les débats. Elle marquait des points. Mais taper sur les industriels n’était pas forcément judicieux à ces yeux tant l’économie jouait un rôle important à Fantispa. Et il connaissait déjà les mots qu’il réserverait en guise de « réponse ».

Arborant un large sourire, Nina Vox remercia Irina et invita le troisième candidat à venir présenter ses idées en quelques mots. C’était au tour de Tod.

Tod Ruffin : - Mes très chers amis. En quelques mois, nous avons fait du RPR la seconde force politique du pays. Nous avons participé à deux gouvernements et nous présidons le Parlement depuis notre retour. Nous avons prouvé notre efficacité à gouverner. Autant d’éléments qui démontrent la vérité de la justesse de notre action. Je n’ai pas changé de point de vue sur la nécessité d’une « Républipauté », un système hybride entre République et Principauté. Nous chercherons sous ma présidence toujours à innover. Mais innover ne veut pas dire basculer dans l’extrémisme. Ne favorisons pas la haine, la violence. Nous devons arriver à nos fins paisiblement. J’entends ceux qui veulent se détourner de certaines valeurs comme l’économie qui est pourtant profondément inscrite dans l’esprit fantispais. Se détourner de l’économie, c’est aussi déraciner les fantispais. Alors, soyons cohérents et ne mélangeons pas tout. Un changement de système politique n’est pas un traumatisme aussi important qu’on veut bien nous le faire croire, surtout si ce changement se fait démocratiquement. Notre mission doit aller dans le sens du relèvement national. Et si je dois collaborer avec des gens de bonne volonté pour y arriver, alors je le ferai comme je l’ai fait en intégrant les gouvernements conservateurs. Ne nous isolons pas. Ne nous vendons pas non plus. Cherchons simplement à obtenir le meilleur pour Fantispa. Je vous remercie.

Nina Vox dont la proximité avec Tod n’était plus à démontrer. La chaleureuse poignée de mains entre eux ne faisaient que confirmer cette proximité. Pendant que Tod rejoignait sa place, Nina proposait à Léonard Goranz de la rejoindre. Le bonhomme savait qu’il jouait son avenir politique lors de ce congrès. Soit il redevenait une pièce maîtresse du parti, soit il sombrait dans l’anonymat et ne serait plus un leader qu’on suivrait.

Léonard Goranz : - Amis républicains. Ce moment que j’ai tant désiré et pour lequel je me suis battu pour l’obtenir est arrivé. Parce que ce congrès est l’occasion pour l’ensemble des adhérents de s’exprimer, de donner son point de vue. Ce moment de décision qu’on a essayé de vous priver, je vous l’ai redonné en me battant sans relâche. Aujourd’hui donc, je peux vous proposer la véritable voie républicaine. Ce chemin mènera Fantispa à l’adoption d’un nouveau régime dont les princes seront les fantispais et non une élite familiale. Je souhaite ancrer notre nation dans un processus de vitalisation de la vie sportive. Ce domaine est le seul qui obtient une résonance dans le micromonde et est donc capable d’unir les peuples. Parce que nous devons arrêter de penser d’un point national, mais songer un nouvel Alden. Je refuse de me réfugier dans mon coin, de me replier sur moi-même comme certains le privilégient. Je suis fidèle à mes idées. Moi, je ne trahis pas, je ne vous trahirais pas.

La double offensive sur Tod et Alexia ne laissait pas indifférente Irina qui se sentait épargnée dans ce discours. Quant à Tod, il n’était guère surpris d’être la cible principale de Goranz. La relation tendue entre les deux hommes ne faisaient qu’attiser ce type de déclaration.

Nina revint sur scène pour proposer aux adhérents de voter dès à présent pour l’un des candidats. L’annonce des résultats seraient fait dès la fin du dépouillement.

Alors que les votants s’étaient tous présentés aux urnes et que le dépouillement était terminé, Nina Vox refit son retour sur la scène. Elle tenait une petite enveloppe blanche dans la main. Les quatre candidats à la Présidence du parti étaient remonté eux aussi sur scène. Ils attendaient la sentence.

Nina Vox : - Notre congrès va pouvoir se clôturer par l’annonce des résultats.

Elle ouvrit l’enveloppe et parcourut des yeux la feuille qui se trouvait à l’intérieur. Elle respecta un moment de silence pour savourer ce moment de suspense. Est-ce que Ruffin allait rester à la tête du parti ? Est-ce que Kudovrinka allait bousculer l’establishment ? Est-ce que Goranz allait revenir sur le devant de la scène ? Est-ce que la nouvelle notoriété de Lapierre allait lui suffire pour survivre ? Tod n’en pouvait plus et s’agaçait de l’attitude de Nina.

Nina Vox : - Tod Ruffin est réélu Président du RPR avec 40,15% des suffrages. Il devance Alexia Lapierre avec 27,25%, Léonard Goranz avec 16,35% et Irina Kudovrinka avec 16,25%.

Alors qu’Irina accusait lourdement le coup – son score était très loin des pronostics – Alexia Lapierre affichait un sourire de vainqueur. Sa percée totalement inattendue lui donnait un statut inédit dans sa carrière. Goranz, quant à lui, avait compris qu’il ne pourrait plus être – dans les mois à venir du moins - un leader. Il dévisageait Alexia qu’il prenait pour la première responsable de son échec. Sa trahison lui coûtait beaucoup. Enfin, Tod avait du mal à savourer une victoire très amer. Elu avec un peu plus de 40% des voix, il voyait surtout la branche gauche du parti progresser considérablement. En effet, les positions de Lapierre et de Goranz étant proches, leur tendance cumulait 43% des voix. La donne politique au sein du RPR évoluait autant que sur la scène politique nationale…